Autopacte et moi
J’ai
l’impression de faire joujou. « Autopacte »,
c’est mon site sur l’écriture
autobiographique, un site très sérieux,
référencé par la Bibliothèque Nationale
(http://autopacte.org). Je suis, à le faire, comme un gosse. Ce
que j’aime,
c’est être seul maître à bord après Dieu.
J’écoute critiques et remarques, mais
n’en fais qu’à ma tête. Je suis chez moi, personne ne peut
venir m’embêter. Sur
le plan technique, je me débrouille seul : le site n’est
pas coquet, ni
fioritures ni images, juste des choses simples, mais que je sais faire
marcher.
Je crée des pages, je noue des liens, je mets à jour
presque quotidiennement.
Pour l’organisation, c’est délicieux de créer un
labyrinthe, les racines ont
l’air toutes simples, mais ensuite ça s’ouvre, ça
s’effiloche dans toutes les
directions, en éventail. On peut insérer des choses
énormes, illisibles, qui
n’obstrueront pas, il suffira de ne pas cliquer sur le lien, parfois un
volume
entier (en 2004, j’ai mis les 200 pages de mon livre sur Leiris,
épuisé depuis
vingt ans, parce que Leiris était au programme de
l’agrégation), ou des
bibliographies monstrueuses, qui serviront à trois personnes. Je
peux mettre en
ligne des textes plus ou moins personnels, hasarder des confidences,
les
changer, les faire disparaître. Je peux inventer des
« services » :
calendriers de colloques, réper-toires de thèses en
cours, etc. J’apprends
parfois que des personnes ont fait connaissance entre elles par mon
site. Ce
n’est pas qu’il soit très fréquenté ! Il
l’est même fort peu (quelques
dizaines de visites par semaine), mais ce sont juste les gens qu’il
faut, à qui
c’est utile, parfois à l’autre bout du monde. Depuis que j’ai
ouvert un accueil
pour lycéens, on me demande moins de faire une dissertation pour
mardi prochain.
J’ai le plan de mon site dans la tête, tout ce que je croise dans
mes lectures,
rencontres, conversations, je vois où ça ira. Une mise
à jour prend trente
secondes. Parfois je me promène seul dans mes grands jardins
virtuels, j’arrache
au passage les herbes folles qui poussent entre les pavés, les
actualités
fanées, les annonces obsolètes. Je fournis en foin frais,
je plante d’autres
rosiers. Je fais le tour du propriétaire. Internet, c’est comme
jadis les
jardins ouvriers : chacun a son petit lopin de web. Ça a
l’air trois fois
rien en surface. Par en-dessous c’est immense. J’aime donc m’y promener
seul,
au milieu du silencieux bruissement de la Toile. C’est comme jadis ma
collection de timbres, le meccano ou le Monopoly. Il y a une sorte de
volupté à
savoir que si personne ne me lit, personne non plus ne saurait me
mettre au
pilon. Je suis comme les seigneurs d’autrefois, qui ouvrait le parc de
leur château
aux bourgeois des environs. Vous pouvez venir faire un tour, entrez,
bonnes
gens, mais c’est pour mon agrément que tout cela a
été créé. Et rose elle vivra
ce que vivent les roses : mon château est un château
de cartes, tout cela
est destiné à s’évanouir comme un songe. Le papier
a une petite chance de nous
survivre. Ce que nous croyons créer sur Internet s’efface comme
la fumée
derrière un avion. Tout puissant dans l’espace, Internet
s’effondre dans le
temps. Je me console en me disant que quand je mourrai, ce sera moins
long à
vider que mon appartement. Un clic suffira. Et je continue sans
mélancolie ma
promenade autiste le long de mon site, du bout de ma canne
j’éprouve la
solidité d’un lien, je jette un œil aux longues enfilades
bibliographiques qui
me rappellent certaines allées du parc de Versailles, je vais
musarder dans mes
hameaux de Trianon, je parle tout seul dans les avoines folles,
Internet et moi
on se comprend, et la nuit seule entendit nos paroles : mais
où sont les
blogs d’antan ?