du
XVIe au
XVIIIe siècle
article publié dans Les Problématiques
de l’autobiographie,
n° 33 de Littérales
(Université Paris X-Nanterre),
2004, p. 63-85.
La recherche dont je présente aujourd’hui les grandes lignes porte sur l’intersection de deux ensembles :
1) la forme
« journal », définie comme une
série de traces datées,
c’est-à-dire
une pratique de notations qui s’étend dans le temps : une
notation unique,
comme le Mémorial de Blaise Pascal, daté du 23 novembre
1654 « depuis
environ dix heures jusques environ minuit », n’est pas
à proprement parler
un journal ;
2) l’écriture spirituelle,
qui traite des rapports de l’homme avec Dieu.
Ma démarche risque de
paraître réductrice : c’est coucher
l’immensité des écritures spirituelles
(que l’on pense à la série touffue des volumes de
l’abbé Brémond sur L’Histoire
littéraire du sentiment religieux
en France) sur le lit de Procuste de la forme
« journal ».
Pour limitée qu’elle soit, cette
démarche est
néanmoins éclairante, parce qu’elle pose deux
problèmes importants :
a) du point de vue de
l’écriture spirituelle : dans quelle mesure
l’écriture d’un journal peut-elle aider au salut de
l’âme ? Le journal
est-il du côté de Dieu ou du côté du
Diable ? Peut-on conseiller à
quelqu’un d’en tenir un ? Faut-il que le journal soit surveillé,
c’est-à-dire encadré par une direction de
conscience ? Et que doit-il contenir ?
Les réponses à ces
questions, on le verra, ont pu varier selon les confessions et selon
les
époques.
b) du point de vue du journal et
de son histoire : quel rôle le
journal spirituel a-t-il joué dans le développement de la
pratique du
journal ? Faut-il le considérer comme origine du journal
intime qui est
apparu un peu partout en Europe à la fin du XVIIIe
siècle ? Si la religion
a eu une influence sur l’apparition d’une écriture intime,
est-ce par le biais
du journal spirituel, ou par d’autres voies ? En d’autres termes,
le
journal intime est-il fils ou cousin du journal spirituel ? Les
facteurs
historiques qui ont transformé la notion de personne et
l’expression
individuelle à la fin du XVIIIe siècle ont-ils agi
à la fois sur la religion et
sur les pratiques d’écriture ordinaire ?
Je tourne à dessein la
question dans tous les sens. Georges Gusdorf et d’autres m’ont
reproché d’avoir
minimisé les origines religieuses des écritures du moi.
Sensible à ce reproche,
j’ai voulu aller sur le terrain voir ce qu’il en était. Ce qui
m’amène à
ajouter une troisième intersection pour définir l’objet
de mon étude :
3) « en France » :
Georges Gusdorf me
reprochait aussi, dans les notes véhémentes de son beau
livre, de ne pas savoir
l’allemand. C’est un de mes grands regrets. Mais sa remarque m’a
conduit à
penser que mon manque de sensibilité à l’origine
religieuse de l’écriture
autobiographique tenait peut-être, autant qu’à un
préjugé personnel, à une
situation nationale. Essayez de trouver dans une bibliothèque,
pour la période
classique (XVIe-XVIIIe siècle) un journal spirituel écrit
en langue française
qui ait été publié à l’époque :
vous n’en trouverez aucun. Essayez même d’en
trouver qui ait été publié plus
tard : vous n’en trouverez pratiquement pas. En Allemagne ou en
Angleterre, la situation est bien différente.
On peut certes se demander si, pour
l’époque
classique, le critère de la langue nationale a un sens :
dans ce domaine,
c’est plutôt la distinction des confessions et des ordres
religieux qui
importe. Et puis les grands ordres, comme la Compagnie de Jésus,
sont des
organisations internationales. Cela est vrai. Mais il est vrai aussi
qu’il
existe des cultures nationales. Dans le domaine que j’étudie –
le journal
personnel –, l’écart entre la France et l’Angleterre (pour
prendre un pays dont
je connais la langue) est important : la France a plus d’un
siècle de
retard, les pratiques qui sont habituelles en Angleterre depuis le
milieu du
XVIIe siècle ne s’installent en France que dans la seconde
moitié du XVIIIe
siècle.
Me voici donc à l’intersection de ces
trois champs,
journal, écriture spirituelle, France, au seuil d’une
enquête qui ne fait que
commencer, et que je ne suis peut-être pas le mieux
qualifié pour mener. Non
seulement je ne lis pas l’allemand, mais en français même
l’écriture
spirituelle me paraît souvent une langue étrangère.
J’en ai fait l’aveu
naguère, quand j’étudiais les journaux de jeunes filles
du XIXe siècle (Le Moi des demoiselles, Seuil,
1993, p.
39) :
15 décembre
1991
Problèmes des journaux
spirituels : je peine à
les lire, ou plutôt à les survoler. Même
problème avec les biographies
exemplaires dans lesquelles ils sont souvent sertis. Je n’arrive pas
à croire
qu’on ait pu sérieusement écrire tout cela, et le
consommer… J’ai parlé, dans
un moment d’exaspération, de langue de bois. D’autres fois, je
suis convaincu
de mon indignité, et je vois cela plutôt comme une
algèbre. Dieu, Incarnation,
Trinité, etc., me semblent simplement être une
série de x, y ou z. Il y a des
gens
qui arrivent à communiquer entre eux par cette algèbre,
langage tout à fait
abstrait mais efficace qui gouverne leur rapport aux autres, à
eux-mêmes et au
monde. Moi je n’y vois goutte, et tout finit par me sembler, comme
à la fin des
équations, égal à zéro. Alors que j’arrive
à m’intéresser à des gens qui notent
la couleur du ciel, ou leur emploi du temps de la journée…
Le problème est de savoir si le discours religieux est le grand modèle de l’écriture diariste, même chez ceux qui ne croient plus. C’est mon débat avec Georges Gusdorf qui est en jeu. Savoir si le journal intime, comme il dit, descend du ciel…
Après avoir reconnu ses limites, il
faut s’arracher
à ses problèmes personnels. Je m’aperçois que je
n’ai pas commenté une
quatrième intersection, pourtant annoncée dans mon
titre :
4) « jusqu’à la fin du
XVIIIe
siècle » : car tout change de manière
spectaculaire en France à
partir du début du XIXe siècle, et plus
précisément à partir de 1814 quand la
religion catholique revient en force et prend en main
l’éducation du pays. Au
XIXe siècle se multiplient les journaux spirituels
encouragés, encadrés et
souvent publiés par des directeurs de conscience. C’est souvent
le fait de
jeunes filles ou de femmes. Limitée jusqu’à la fin du
XVIIIe siècle aux fondateurs
d’ordres religieux ou à des personnes à la
spiritualité exceptionnelle, la
pratique devient alors beaucoup plus commune, et elle est donnée
en exemple
dans des publications édifiantes.
Et du côté des origines, avant
le début du XVIe
siècle ? Je renverrai sur ce point au livre que j’ai
publié avec Catherine
Bogaert, Un journal à soi. Histoire d’une
pratique (Textuel, 2003, p. 24-25 et 56-59) en rappelant seulement
l’essentiel. L’idée d’écrire ses péchés
pour préparer ses confessions, et pour
s’empêcher de commettre des choses qu’on aurait honte de dire,
vient de saint
Antoine (IVe siècle). On peut donc le baptiser père du
journal spirituel, si
l’on veut, quoiqu’il ne s’agisse que de la branche
« répressive » de
cette pratique, non de sa branche « mystique ».
Ces notes sommaires,
de toute façon, ne pouvaient ni s’écrire
discrètement, ni se conserver
longtemps, faute d’un support adéquat. Jusqu’au XVe
siècle, les écritures
ordinaires ont été confiées aux tablettes de cire,
encombrantes et éphémères.
C’est l’arrivée du papier en Europe qui a réellement
permis le démarrage du
journal comme pratique générale à partir du XVe
siècle : livres de bord
des bateaux, comptabilité des entreprises, journaux de voyage,
chroniques
historiques, livres de famille, etc. Loin d’être à
l’origine de cette éclosion
du journal à l’orée des temps modernes, la
variété « spirituelle » a
été l’une des dernières à apparaître,
au moment de la Contre-Réforme.
Où
chercher ?
Il y a quatre grandes pistes :
1) Les textes
publiés : c’est un long travail, à partir des
instruments
bibliographiques ordinaires, d’une somme comme celle de l’abbé
Brémond, et
surtout du Dictionnaire de spiritualité.
Une équipe d’historiens de l’université Paris-IV (Centre
Roland Mousnier) a
entrepris en 2003 de faire l’inventaire de tous les
« écrits du for
privé » publiés ou inédits de la fin du
Moyen Âge jusqu’en 1914. Ce
travail, qui va s’étaler sur de longues années, sera
décisif pour une étude
comme celle-ci.
Un autre problème est de bien
percevoir ce qu’a été
la diffusion réelle des textes. Prenons un exemple : le Mémorial (1542-1545) de Pierre Favre
(1506-1546) : il en existe seize copies manuscrites, actuellement
disséminées dans diverses bibliothèques en Europe,
ce qui est le signe d’une
diffusion interne réelle à l’époque dans le cadre
de la Compagnie de
Jésus ; mais il a été publié pour la
première fois, dans le latin et
l’espagnol originaux, en 1853, et traduit en français en 1959
par Michel de
Certeau : éditions « historiques »
tardives sans grande influence
extérieure. Même remarque pour le journal spirituel
d’Ignace de Loyola
(1544-1545) – ou ce qu’il en reste (il en refusa la lecture à
son biographe
Louis Gonçalvès de Câmara), qui ne fut
publié qu’en 1934 (et traduit en
français en 1960).
2) Les textes
cités : il arrive que les journaux spirituels soient
utilisés comme
matériaux dans des biographies pieuses publiées peu de
temps après la mort de
religieux ou de religieuses à la vie exemplaire.
L’inconvénient est que seuls
de brefs fragments sont cités, choisis souvent dans une
perspective
d’édification qui gomme le particulier. Mais ces citations
attestent
l’existence de ces journaux, qui sont parfois globalement
décrits par le
biographe. Et il s’agit de la diffusion immédiate,
contemporaine, d’un modèle
de piété à travers une pratique d’écriture.
3) Les textes
inédits (ou les manuscrits inédits de textes
partiellement publiés ou
cités). Le plus évident est de les chercher dans les
archives des communautés
religieuses. J’ai travaillé pour l’instant aux archives de
Saint-Sulpice et aux
archives des Jésuites. Différents accidents historiques
font que souvent ces
archives ne contiennent pas de documents antérieurs à la
fin du XVIIIe siècle.
Les Jésuites ont été supprimés en France en
1762 et n’ont repris leurs
activités qu’en 1814, sous la direction de Clorivière –
mais leurs archives
avaient été dispersées. Sous la Révolution,
les papiers de la plupart des
ordres religieux ont été détruits : la
bibliothèque du Saulchoir, par
exemple, n’a plus que « quelques épaves
misérables » des dominicains
de jadis. Il faudrait néanmoins passer systématiquement
en revue les différents
ordres, comme le fera sans doute l’enquête des historiens de
Paris-IV.
L’absence, pour les textes publiés,
est
irréfutable ; pour les textes inédits, elle ne
permet pas de conclusion
définitive. Comme en archéologie, tout reste possible…
D’autre part, même si
ces archives n’avaient pas été détruites ou
dispersées, on n’y aurait pas
trouvé des textes qui, pourtant, ont peut-être bel et bien
existé : car
des journaux intimes ou personnels ont pu être écrits pour
soi, ou à la demande
d’un directeur de conscience, et être ensuite supprimés.
4) Les
témoignages indirects : on peut néanmoins penser
que même si les produits de cette pratique du
journal
ont disparu, son existence peut être attestée
indirectement de deux
manières : par des passages prescriptifs ou prohibants dans
les traités de
piété ; par des mentions ou commentaires dans des
correspondances liées à
une direction spirituelle.
Sans entrer dans le détail, je vais
dresser un
panorama de ce que j’ai trouvé jusqu’à présent
concernant les pratiques
catholiques laïques, cléricales ou mystiques et les
pratiques protestantes.
Les pratiques
catholiques laïques
Il faut éviter de se faire,
d’après quelques cas
exceptionnels, une fausse idée de la place du journal dans la
vie spirituelle
catholique en France à l’époque classique. Je n’ai encore
trouvé aucun journal
spirituel de laïque, et très peu de religieux.
Les Exercices
spirituels (1548) d’Ignace de Loyola sont étrangers à
l’univers du journal.
Ce sont des exercices mentaux, qui ne
passent jamais par l’écriture, et, en principe, ne laissent pas
de traces.
Seule exception, pour l’examen particulier, au début, Ignace de
Loyola reprend
la technique traditionnelle du « cochage » des
péchés : c’est le
degré zéro de l’écriture, puisqu’il s’agit de
marquer chaque péché par un trait
sur une ligne, et qu’une fois la comparaison faite d’un jour à
l’autre, ce
papier n’est pas destiné à être conservé.
Pour l’examen général, aucune mention
n’est faite de l’écriture, pas plus que dans toute la suite des
exercices.
Ceux-ci se développent dans le cadre d’une relation
pédagogique orale avec un directeur de
conscience,
qui « donne » progressivement les exercices
à faire, suit et
infléchit leur développement. Le texte même des Exercices spirituels est une sorte de « livre
du maître »
que l’exercitant n’a pas à connaître. Trois siècles
plus tard, la psychanalyse
freudienne passera par des chemins analogues, écartant
l’analysant de la
lecture des textes théoriques, disqualifiant l’écriture
comme résistance, et
misant tout sur la parole et le transfert.
Mais Ignace lui-même et ses premiers
compagnons ont,
par ailleurs, tenu des journaux, sous les formes les plus
variées (voir
ci-après). Il semble que, dans l’univers catholique,
l’écriture soit plutôt
déconseillée aux profanes et aux laïques, et qu’elle
ne devienne acceptable que
dans le cadre de la formation « professionnelle »
des religieux
(noviciat, retraites, etc.)
Si l’on regarde les guides de vie spirituelle
publiés à l’époque, on n’y trouve aucune
incitation à tenir un journal, ni même
à se servir de l’écriture pour accompagner ou soutenir
son effort vers Dieu.
Écrire n’est pas au programme. J’ai consulté :
Gabriel Du Préau, De la connaissance de
soi-même pour
parvenir à celle de Dieu (1559), saint François de
Sales, Introduction à la vie dévote
(1609),
Jean-Jacques Olier, La Journée chrétienne
(1655), Jean-Joseph Surin, Guide
spirituel (1661), Pierre de Saint-Romuald, Journal
spirituel (1667), Madame Guyon, Le Moyen court
(1685). L’un de ces guides, celui de Pierre de
Saint-Romuald, donne même des indications en sens contraire. Dans
ses
« Advis pour se garder de certaines tromperies »
(op. cit., p.
335-339), plusieurs remarques semblent tomber à plein sur les
dangers qui
pourraient naître de la pratique du journal, du côté
de l’orgueil ou de la
complaisance à soi. Le Diable tirant les ficelles, un journal
deviendrait
occasion de péché. Voici en particulier les tromperies
n° 7, 11, 13 et
17 :
7. Ne s’enorgueillir point,
ni ne se confier pas vainement en soi-même, si on jouit de
quelques douceurs et
consolations sensibles en l’oraison : car elles peuvent
naître de trois
endroits : 1. Du Saint Esprit ; 2. De l’excellence de la
matière ; 3. De Satan, qui donne quelquefois de grandes
tendresses de cœur
aux hérétiques, jusque même à jeter des
larmes quand ils lisent la Sainte
Bible, ou des Fables.
11. Prier pour se mortifier,
et se mortifier pour prier ; bref prendre la prière pour
moyen d’en mieux
observer les commandements de Dieu (but auquel tout chrétien
doit tendre
principalement) et non pas prier pour le goût qu’on peut prendre
en tel
exercice.
13. Ne dire à personne les
faveurs qu’on reçoit de Dieu : car outre que c’est sottise
et vanité, on
court risque encore de perdre tout à fait la dévotion, et
ces mêmes faveurs.
Quand du parfum est éventé, il ne sent plus bon.
17. Ne considérer pas les exercices spirituels, comme sujets à quelque exercice ou art ; mais s’en servir seulement comme de moyens ou dispositions pour faire ce qu’on doit avec plus d’ordre, et au reste mettre toute sa confiance en Dieu, et en l’assistance du St-Esprit.
Il est tentant d’opposer ces mises en garde
aux
incitations directes à tenir un journal qu’on trouve à la
même époque dans
certains traités de piété en Angleterre :
celui de John Beadle, The Journal or Diary of a Thankful
Christian
(Londres, 1656) ou celui d’Isaac Ambrose, Prima,
the First Things in Reference to the Middle and Last Things
(Londres,
1654). Isaac Ambrose paie même de sa personne puisqu’après
avoir fait l’éloge
du journal (ci-dessous), il donnera en exemple trois semaines du sien
(13-31
mai 1641) !
To this purpose we read of many Ancients that were accustomed to keep Diaries or Day-books of their actions, and out of them to take an account of their lives : Such a Register (of God’s dealings towards him, and of his dealings towards God in main things) the Lord put into a poor Creatures Heart to keep in the year 1641. Ever since which time he hath continued it, and once a year purposes (by God’s Grace) to examine himself by it ; the use and end of it is this :
1 Hereby he observes something of God to his soul, and of his soul to God – 2 Upon occasion he pours out his Soul to God in Prayer accordingly, and either is humbled or thankful – 3 He considers how it is with him in respect of time past, and if he hath profited, in Grace, to find out the means whereby he hath profited, that he may make more constant use of such means ; or wherein he hath decayed, to observe by what Temptation he has overcome, that his former errors may make him more wary for the future.
Besides many other uses, as his own Experiences, and Evidences, which he may (by the Lord’s help) gather out of his Diary.
Elisabeth Bourcier, dans son livre sur Les Journaux
privés en Angleterre de 1600 à 1660, cite des
dizaines de journaux
spirituels, dont les manuscrits nous sont restés ou dont des
extraits ont été
publiés à l’époque dans les biographies pieuses.
Les conseils de John Beadle et
d’Isaac Ambrose formalisent une pratique courante, en insistant sur le
rôle
pédagogique de la relecture.
Rien de tel en France, où
l’écriture solitaire est
vue comme pleine de risques. Quand, au XIXe siècle, le
catholicisme français
aura changé d’attitude et conseillera le journal, ce sera sous
haute
surveillance, en intégrant le journal à la direction de
conscience. Celle-ci,
au XVIIe siècle, quand elle passait par l’écriture, en
faisait un usage fort
différent, même si les correspondances spirituelles
avaient la régularité d’un
journal. D’une part, la personne guidée échappait
à elle-même en anticipant le
regard du directeur auquel elle demandait conseil ; d’autre part
elle se
détachait de ce qu’elle écrivait puisqu’elle envoyait ses
lettres, ne
conservant que la série des réponses. Ce qui explique,
d’ailleurs, que nous
connaissions surtout cette pratique par des lettres de directeurs de
conscience : ceux-ci, en revanche, gardaient rarement les lettres
de leurs
correspondants. Les lettres de direction spirituelle auxquelles nous
avons
aujourd’hui accès par l’édition (celle de Gaston de
Renty, Jean-Jacques Olier,
Madame Guyon, Jean-Pierre Caussade, par exemple) ont un trait
commun :
jamais le directeur ne conseille de tenir un journal, ou de pratiquer
une
écriture autre que celle de la lettre. C’est vers l’oraison
qu’ils tournent
systématiquement leurs disciples. Le but est de se
détacher complètement de
soi. Les lettres elles-mêmes, dans lesquelles s’expriment doutes
ou scrupules,
sont vues comme des faiblesses, pardonnables et utiles, certes,
puisqu’elles
demandent secours, mais il est clair que si la personne menait de tels
épluchages
de soi dans la solitude, elle se perdrait. « Ne vous
retournez pas sur
vous-même pour éplucher ce que vous avez
fait », écrit Madame Guyon au
jeune marquis de Fénelon en 1716. Écoutons-la
développer ce leitmotiv,
s’adressant cette fois à un autre disciple, Otto Homfeld (Correspondance, tome I, Champion, 2003, p. 698) :
Vous me demandez ce que j’ai voulu vous dire par ces expressions de laisser tomber les réflexions et de tenir le cœur au large. Ce que je veux dire est que nous sommes naturellement portés à la réflexion, ce qui empêche et trouble beaucoup la paix de notre âme. On veut voir, connaître, et sentir ce qu’on fait ; si c’est quelque chose d’imparfait, il est à craindre d’en être troublé et découragé ; si c’est quelque chose de bon, la présomption excite notre esprit comme malgré nous. Et quoiqu’on n’y consente pas, cela ne laisse pas de ternir la glace pure de notre esprit, qui, comme un miroir, doit être dégagé de ces deux haleines, de la tristesse et de la complaisance en soi-même, afin que Dieu S’y présente au naturel.
Le
journal serait donc une buée.
Mais ne peut-il pas être bon qu’une
telle buée
s’exprime, comme elle le fait dans la lettre, pour dégager
l’âme ? Et n’est-il pas possible qu’un individu,
solidement encadré par une institution, soit capable
d’autoformation,
c’est-à-dire joue vis-à-vis de lui-même le
rôle du directeur spirituel ? –
En somme, que le journal soit une bouée ?
Les
pratiques
catholiques cléricales
Sans doute le journal spirituel a-t-il deux
faces : l’une « morale ou psychologique »,
où l’attention à soi
risque de déraper vers la complaisance ; l’autre
« mystique »,
où l’attention à Dieu entraîne l’individu
débarrassé de lui-même vers les
sommets. De fait tous les journaux spirituels dont il reste des traces
appartiennent à la seconde catégorie, et sont le fait de
« professionnels ». On les connaît
essentiellement par des
biographies pieuses et des publications posthumes. Je vais en donner
quatre
exemples.
Est-il possible d’écrire
ses exercices spirituels ? Oui, mais ce sera alors,
semble-t-il, dans un but pédagogique plus que personnel. Nous
avons un point de
repère, un siècle après Loyola, avec les
écrits spirituels du père jésuite
Claude La Colombière (1641-1682), dont on a publié, deux
ans après sa mort
(1684), quatre volumes de sermons, un volume de Réflexions
chrétiennes et surtout un volume intitulé La
Retraite spirituelle, qui contient
les notes d’une retraite de quatre semaines faite à Lyon en 1674
sur le schéma
des Exercices de Loyola, puis des
notes de retraites éparses entre 1674 et 1677. Il ne s’agit pas
d’un journal
continu : il n’écrit qu’à l’occasion des retraites,
dans le cadre
« préformé » des Exercices.
Il ne s’agit pas non plus d’un journal
« personnel », puisqu’au fond
le but des exercices est de renoncer à soi. C’est plutôt
un exemple, donné en
modèle. Ces textes, admirablement écrits, ont un accent
personnel qui facilite
l’identification, sans avoir vraiment de contenu personnel, qui
détournerait
l’attention vers leur auteur : ils ouvrent une voie
agréable à la
dépersonnalisation. Le message lié à leur
publication n’est pas :
« Soutenez-vous par l’écriture dans votre trajet vers
Dieu, tenez un
journal pour vous améliorer », mais
« Faites les exercices spirituels
comme moi, je les ai écrits non pour vous apprendre à
écrire, mais à
prier ».
Sans doute plus proche des pratiques moyennes
fut le
jésuite Julien Maunoir (1606-1683), dont le biographe, le
père Boschet, a évoqué
les journaux de jeunesse. « Missionnaire » en
Bretagne, Julien
Maunoir a accompli un grand nombre de conversions et de miracles. Son
biographe
travaille d’abord sur une copie du Journal, exécutée par
un proche, puis se
rend à Quimper pour vérifier sur le manuscrit original,
et interroger par la même
occasion les témoins des miracles. La partie la plus suivie du
journal semble
correspondre aux trois années de noviciat à Paris,
à laquelle Maunoir lui-même
avait donné un titre, De la perfection.
J’en donne à lire ci-dessous le seul fragment auquel le
biographe ait conservé
sa forme originale de journal daté – car le plus souvent ces
biographies traitent
les journaux comme des réservoirs où puiser des
pensées pieuses regroupées thématiquement.
Rien ne nous apprend mieux à quel
degré de sainteté
ce jeune homme en était dès lors, que les Mémoires
que nous avons en forme de
journal, où il a marqué ce qui s’était
passé entre Dieu et lui durant son cours
de Philosophie, qui était alors de trois ans.
Voici quelques articles de
ce journal capables de nous faire admirer tout à la fois la
bonté infinie de
Dieu qui prend plaisir à se communiquer aux âmes pures,
humbles et
fidèles ; et le courage de ces grands âmes qui pour
répondre aux divines
faveurs qu’elles reçoivent, s’offrent à tout faire et
à tout souffrir, ne
connaissant plus d’autre plaisir, d’autre intérêt, ni
d’autre gloire que le
plaisir, l’intérêt et la gloire de Dieu.
Le vendredi de l’octave du
Saint Sacrement, écrit Maunoir, comme je revenais du
jubé, j’eus une vue
intérieure, qui me montra l’état où mon âme
était alors, et celui où elle avait
été dans le monde : il y avait une grande
différence de l’une à l’autre.
Ensuite une lumière me fit connaître que celle
vue-là me venait de Dieu, et je
fus pénétré de ce sentiment. Que Dieu est
bon ! qu’il est infiniment
bon ! sur quoi je récitai le cantique de la sainte Vierge, Magnificat anima mea dominum.
Le jeudi dernier jour de la
même octave j’eus une connaissance très nette, très
vive et très profonde, que
toutes les choses de ce monde sont vaines, et ne durent
guère ; que Dieu
seul est éternel ; que ceux-là seulement le
posséderont dans le ciel, qui
l’auront possédé sur la terre. Là-dessus
indigné contre les gens du monde, je
sentais une forte envie d’invectiver contre eux ; et je dis tout
transporté : Le monde sera-t-il
toujours assez fou pour s’attacher à ce qui passe, et pour
abandonner Dieu qui
ne passe point ? Peu de temps après je fus saisi d’une
douleur et
d’une contrition très grande : il me semblait qu’on me la
mettait dans le
cœur.
Le 15 de juillet je me sentis pressé
d’un violent
désir de souffrir quelque chose pour Dieu : il me semble
que j’aurais su
bon gré à celui qui m’aurait fait souffrir. J’avais
l’âme embrasée de l’amour de
Dieu et j’en brûlai tout ce jour-là. En lisant les paroles
de saint Jean, Celui
qui demeure en la charité, demeure en Dieu et Dieu demeure en
lui, je fus
rempli d’une grande douceur, et je me sentis plus ferme que jamais dans
la
résolution d’aimer Dieu. Comme je me demandais à
moi-même ce que c’était qu’aimer
Dieu, il m’apprit que c’était observer sa parole. Je lui promis
que je
méditerais chaque jour de la vie ses volontés, et que je
les accomplirais jusqu’à
la mort.
Le même jour, comme je servais une
seconde messe, je
fus saisi tout à coup d’une grande crainte d’offenser Dieu, et
je fis cette
prière avec beaucoup de ferveur, Mon Dieu
si je suis en vôtre grâce et si vous prévoyez que je
dois la perdre par un
péché mortel, et je crois que j’ajoutai,
ou vous offenser par un péché véniel, je vous prie
de m’envoyer plutôt la mort,
quand je devrais être au purgatoire jusqu’à la fin du monde.
Ensuite je
désirai beaucoup de mourir pour éviter le danger
où me met ma propre faiblesse,
et maintenant que j’écris j’ai une grande connaissance et un
grand sentiment de
mon indignité.
Je demandai à Dieu le jour suivant
étant en classe,
qu’il me remplît de sa crainte, et je m’en trouvai tout à
coup si saisi, que si
cela eût duré plus longtemps, ç’eût
été de quoi me faire mourir.
La veille de saint Ignace il me prit une
forte envie
de commencer à servir Dieu. Je sentis soudainement
s’élever en moi un désir
passionné de reconnaître ses bienfaits, de le bénir
comme l’auteur et le
dispensateur de toutes les grâces, et il me sembla que ma vie
était trop courte
pour cela : ce désir me revient à cinq ou six
reprises, et je l’avais déjà
eu d’autres fois. Or de tels mouvements, qui nous pressent ainsi de
servir
Dieu, sont de très grandes grâces.
À mesure qu’on avance dans ce journal, on trouve toujours des choses plus merveilleuses, Dieu augmentant de plus en plus ses grâces et Maunoir sa fidélité et sa correspondance.
Un siècle plus tard, la biographie du
capucin Ambroise
de Lombez (1709-1778) est rédigée pour moitié
à partir d’un « précieux
manuscrit », où « cet admirable
ascète avait tracé tout le plan de sa
vie mystique : il le portait habituellement sur lui ».
Différentes
indications permettent de comprendre qu’il s’agissait d’un journal ou
mémorial
daté – mais nous ne pouvons en lire que des extraits
classés par thèmes. Le biographe,
de plus, s’excuse sur l’imperfection stylistique et pose le
problème de l’édition
de ces textes privés :
Si le lecteur trouve peu d’ordre dans les matières, quelques négligences de style, peut-être même certains détails trop minutieux, qu’il fasse attention que notre Père n’eut jamais le dessein de rendre public les secrets de sa vie intérieure et cachée ; il n’écrivait que pour lui seul ; et quand on ne travaille que pour soi-même, et dans l’ordre du salut, s’embarrasse-t-on beaucoup de donner de la délicatesse et de l’élégance à ce qu’on fait : on s’attache bien plus à l’utile qu’aux ornements, et le cœur a bien plus de part à l’ouvrage que l’esprit, les lumières que l’on reçoit du Ciel, que celles qu’on peut avoir acquis dans l’étude des Sciences et des beaux Arts.
Où sont aujourd’hui les manuscrits de
Claude La
Colombière, de Julien Maunoir, d’Ambroise de Lombez ? Nous
avons la
chance, pour la fin du XVIIIe siècle, de pouvoir consulter les
journaux
originaux du jésuite Pierre de Clorivière (1735-1820). On
se rend bien compte
qu’il ne s’agit pas d’une initiative individuelle, mais d’une pratique
inculquée, donc probablement commune. Les journaux et textes
divers tenus par
ce jésuite entre 1763 et 1773 font visiblement partie d’un
système de
formation. Il se trouve que Clorivière, refondateur des
Jésuites en France en
1814, a pu nous laisser ses archives – alors que les pratiques
analogues
d’autres jésuites du XVIIIe siècle ont dû
disparaître. Ces pratiques devaient
être courantes dans la formation des religieux, et ce sont elles
qui ont été,
au début du XIXe siècle,
« laïcisées », si je puis dire,
c’est-à-dire
étendues à la formation des adolescents dans les
établissements d’enseignement
religieux. Les écrits spirituels de Clorivière
(édités en 1935) comportent donc
toute une batterie d’exercices, dont le journal n’est qu’un
élément :
Résolutions, Comptes de conscience, Programme de vie, Retraites,
Manifestations
de conscience (adressées à des directeurs), Journal. En
ce qui concerne le
journal, l’éditeur analyse ainsi son système :
On remarquera trois expressions différentes dont se sert le Père de Clorivière dans ses notes personnelles : tantôt c’est le Journal spirituel, tantôt le Journal d’oraison, tantôt le Journal de conscience. Le Journal d’oraison est celui où il consigne le sujet de son oraison, les résolutions qu’il y prend, les grâces qu’il y reçoit ; le Journal de conscience contient le contenu de ses victoires et de ses faiblesses ; le Journal spirituel est l’ensemble des deux premiers lorsqu’ils ne sont pas tenus séparément.
La première page du Journal spirituel
tenu de
septembre à décembre 1770 est reproduite dans Un
journal à soi (op. cit., p. 58-59), on en trouvera
ci-dessous
les deux premières entrées (9 et 10 septembre) traduites
en français
(Clorivière, en formation à Bruxelles pour aller exercer
en Angleterre, écrit
en anglais, les jésuites ayant été
supprimés en France en 1762). Ces notes
commencent par le positif et le programmatif : sujet (à
méditer) ;
vertu ; résolution ; grâces, puis
enchaînent avec le négatif et le
rétrospectif – examen de conscience des manquements de la
journée. La
résolution donne lieu à une comptabilité
inspirée par celle des « examens
particuliers », mais orientée vers le positif :
Clorivière coche sur
une ligne le nombre d’actes exécutés, à comparer
avec le nombre d’actes promis.
Septembre 1770
Vanité dans
les paroles. Trop grande négligence dans la surveillance de ma
langue.
Sensualité. J’ai cédé à un mouvement d’humeur propre ; étant intérieurement irrité contre quelqu’un et content d’entendre les autres parler mal de lui.
10. Sujet : Parabole du
Semeur.
Vertu : une fidèle correspondance aux inspirations divines.
Résolution :
dix actes de recueillement et de dépendance au Christ. Dans la
matinée
[12] ; autant dans l’après-midi [10]. Grâces :
paix, dévouement, silence.
Quoique au
milieu des distractions je sois resté suffisamment recueilli, je
n’ai cependant
pas été assez soucieux de parler de choses pieuses, comme
l’édification le
demandait, puisque je me trouvais avec des Frères sortant du
noviciat.
Pour conclure sur ces pratiques
cléricales du
journal spirituel, ce qui est frappant est qu’elles n’ont jamais,
jusqu’à la
fin du XVIIIe siècle, débordé dans la
société laïque, qu’elles ont été
cantonnées et cachées dans l’espace religieux – ce qui
est encore plus vrai de
ce que je vais appeler les pratiques extraordinaires.
Les
pratiques
catholiques extraordinaires
Ce sont des exceptions, ou plutôt des
séries
d’exceptions, liées à la fondation d’un ordre religieux,
à des moments
d’invention et de violence, à des aventures mystiques
brûlantes – quand des
individus prennent des initiatives inouïes, qui n’ont pas vraiment
de modèles
en amont, et ne serviront guère de modèle en aval. Les
journaux écrits dans ces
circonstances sont différents les uns
des autres, sans régularité aucune. Ce sont, d’une
certaine manière, des
phénomènes uniques, des
« monstres ». Il y a eu, à ma
connaissance,
deux « noyaux » : la fondation de la
Compagnie de Jésus au XVIe
siècle, la fondation de Saint-Sulpice au XVIIe siècle.
Michel de Certeau, dans son édition du
journal de
Pierre Favre (op. cit., p. 82, note 1), donne une liste de sept
journaux tenus
par les premiers jésuites en affirmant qu’ils sont tous
conformes au même type,
que voici :
Étroitement
lié à la conception
ignatienne de l’examen, le journal exprime sous forme de discussion
avec
soi-même le dialogue avec Dieu : en reconnaissant dans son
action le
« mouvement » de Dieu, l’apôtre collabore
de mieux en mieux à l’Œuvre
que lui indique sa propre « vocation », et
discerne en lui les
résistances qui s’opposent encore à l’activité
créatrice de Dieu.
J’ai lu pour l’instant trois de ces sept
« journaux » (ceux d’Ignace de Loyola, de Pierre
Favre et de Jérôme
Nadal), et j’ai été plutôt sensible à leurs
dissemblances. Le modèle que décrit
Michel de Certeau, c’est celui du journal de Pierre Favre, dont il
présente une
édition commentée, et qu’il projette sur les autres.
Voici le
« programme » de ce journal, tel que ses
premières lignes le fixent
(15 juin 1542) :
En 1542, au jour octave du Corps du Christ notre Seigneur, entra en moi un désir particulier de commencer désormais ce que j’ai omis de faire jusqu’à présent, par pure négligence et paresse : écrire, pour en garder le souvenir, quelques-unes des grâces que le Seigneur m’aurait données de sa main dans la prière pour m’avertir de la conduite à tenir, ou en vue de la contemplation, du discernement ou de l’action, ou pour toute autre manière de progresser en esprit.
Mais avant d’entrer et d’avancer dans le futur, il me semblait bon de noter certains points de ma vie passée, d’après ce que je me rappelais avoir éprouvé avec une conscience particulière de l’action de grâces, de la contrition, de la compassion ou de tout autre sentiment spirituel que m’aurait inspiré le Seigneur ou enseigné mon bon Ange.
Écrit d’abord en espagnol puis en
latin, ce journal,
dont on ne connaît que des copies, commence donc par une
autobiographie,
s’étend ensuite sur un an (juin 1542-juillet 1543), est
interrompu, puis
reprend pour cinq mois en 1545. Dans ces notes prises après la
messe, ou le
soir, s’exprime (quelquefois par des admonestations à la seconde
personne,
Favre s’adressant à son âme) tout le travail de perception
et d’interprétation
des grâces dont il est l’objet. Ce journal, qu’il lui arrive de
relire, lui
permet, comme il le dit excellemment, « d’entrer et
d’avancer dans le
futur » : c’est un instrument d’action sur soi, il
accompagne un
élan. Voici une autre formulation de ce programme (11 octobre
1542) :
Après la messe, réfléchissant à ce que je faisais en la disant, il me sembla vraiment important de noter que je devais prier Dieu instamment : de susciter et de fortifier ma mémoire, afin que je garde le souvenir de chaque exercice spirituel passé, et je devais l’en prier par le mérite de la passion du Christ, qui est notre grand mémorial ; 2. de me donner une intelligence attentive aux exercices que j’étais en train d’accomplir ; 3. une volonté qui désire les exercices à venir. Non que ces trois facultés se séparent en de telles actions, mais la mémoire a en vue le passé, l’intelligence le présent, et le désir l’avenir.
La fonction des journaux d’Ignace et de Nadal
est
analogue, mais leur allure bien différente. Le journal de Pierre
Favre est
rédigé de manière à la fois
raisonnée et personnelle. Celui d’Ignace est
personnel sans être raisonné. Celui de Nadal,
raisonné sans être personnel.
J’appelle « raisonnée » une
démarche qui explicite les situations et
développe les analyses de manière à pouvoir
être comprise par soi-même plus
tard, ou par un lecteur extérieur. J’appelle
« personnelle » une
démarche datée qui met en scène et en dialogue le
mouvement de l’âme. C’est par
abus que les Observationes spirituales
de Nadal ont été éditées sous le nom de Journal
spirituel : elles ne sont pratiquement jamais datées,
et le mettent
rarement en scène dans son histoire particulière. Fruit
de ses oraisons, ces
notes, présentées de manière impersonnelle, ont
été préparées par lui pour la
publication. Le journal d’Ignace de Loyola est absolument l’inverse.
Ses deux
cahiers, tenus en 1544-1545, au moment où il préparait
les Constitutions de la Compagnie de Jésus, et
méditait sur le choix de
la pauvreté et sur la finalité missionnaire du nouvel
Ordre, jamais il n’a
voulu les communiquer à personne. C’est le premier exemple d’une
écriture
totalement intime. Son journal, centré autour de
l’expérience quotidienne de la
messe, se présente comme un enregistrement minutieux (d’abord
explicite, puis
remplacé par un système codé d’abréviations
et de signes) des larmes versées
avant, pendant et après la messe, puis de la loquela
(voix intérieure) qu’il entend à ces différents
moments : cette voix est chaque fois décrite dans sa
quantité et sa
qualité, jamais dans son contenu. Le journal ne contient donc
aucune idée,
réflexion ou information, il est entièrement
consacré à une sorte de bulletin
de météorologie spirituelle, à usage purement
interne. Sa lecture est
impressionnante. Il nous fait rêver à l’existence possible
d’autres pratiques
secrètes qui n’auraient laissé aucune trace.
Souvenons-nous que c’est malgré
Pascal que nous connaissons son
« Mémorial », cousu dans la doublure
de ses vêtements. D’autres Ignace, d’autres Blaise ont
peut-être noté, puis
détruit, leur plus intime dialogue avec Dieu.
Le second « noyau » de
journaux qu’on peut
observer accompagne la fondation du séminaire de Saint-Sulpice,
à Paris, dans
les années 1640. Trois journaux seulement cette fois, mais
vraiment
« monstrueux » de toutes les manières. Il
faut les présenter
rapidement, car tous sont, pour l’essentiel, inédits et
d’accès difficile (les
journaux jésuites dont j’ai parlé sont, eux,
publiés). D’abord Marie Rousseau
(vers 1596-1680), veuve d’un marchand de vin fournisseur de la cour, en
dialogue permanent avec la sainte Vierge et inspiratrice de
Jean-Jacques Olier
(voir ci-dessous) : elle a commencé son journal en 1629, et
l’a poursuivi
jusqu’en 1656 ou 1657 : il ne nous en reste que la partie
médiane,
1640-1649, qui occupe 10096 feuillets regroupés en 13 volumes
à la Bibliothèque
Nationale (FR 19326-19338). Elle a fait l’objet d’une thèse de
troisième cycle
(inédite) de Thierry Bourgeois, qui a transcrit l’année
1645 (soit 506 pages,
le vingtième de l’ensemble). Sachez que Marie Rousseau, qui
tient ce journal
sur ordre du père Bataille (elle se brouillera avec lui, et
craindra un moment
qu’il ne lui rende pas les parties du journal encore en sa possession),
écrit
rarement elle-même ! Elle dicte à Jean-Jacques Olier
ou à Louis Laisné de
la Marguerie, qui eux-mêmes ont recours à un
copiste : son journal est une
ruche, un atelier collectif qui récolte le miel qui tombe de ses
lèvres, venant
de la sainte Vierge ou de Jésus. Elle a le sentiment
d’être une interprète
indigne de la parole divine (16 juin 1641) :
Quand j’escris ces paroles de mon Jésus, je ne mets qu’un mot pour en dire plus de dix mil, pour les choses qu’on verra arriver et quand l’esprit me revient, et que je reconnaist ce que j’ay escrit. Ah ! quelle honte et ressentiment je ressens, de voir que ce que j’escris n’a rien à l’égal de la justice de Dieu. Mais quand je me remets que c’est pour obéir, alors la honte se perd et puis je recommence.
Voici maintenant la même situation,
décrite en 1642
Jean-Jacques Olier (tome II, p.
196-197) :
Pendant sept ou huit heures entières elle dit qu’elle n’écrit que la moindre partie de ce qu’elle voit, elle dit un mot qui en exprime seize, bref elle n’écrit rien qui la contente, tant la matière qu’elle laisse surpasse celle qu’elle écrit, ce qui est une marque presque infaillible de ses véritables lumières, et surtout au sujet de la très Sainte Vierge. Et ce qui est encore considérable, c’est la manière dont elle écrit étant toujours quasi hors d’elle et tombant en extase en écrivant. Je suis redevable à mon DIEU de la grâce de l’avoir vue en cet état, de l’avoir vue hors d’elle-même avec des souffrances extrêmes, je l’ai vue se plaignant qu’elle ne voyait goutte pour écrire tant son âme était occupée au-dedans et dérobait ainsi aux sens les facultés nécessaires pour le service de cette âme. Je ne vois point de secrétaire du St Esprit plus assuré dedans l’Église hors de ceux que la foi nous propose, mais pour des Ames particulières il n’y a point de marque de fidélité et de soumission plus grandes que celles qui se remarquent en sa façon d’écrire, elle ne se sert point de son esprit, elle s’abstient d’écrire ce qu’elle doute être de Dieu, elle soumet le tout à son directeur très capable, elle n’écrit que dans l’impétuosité d’un esprit intérieur plus vite et plus fort que le sien qui n’ayant rien d’acquis ne mêle rien avec l’esprit DIVIN, bref c’est une merveille qui n’a rien de semblable.
Qu’écrit-elle ainsi ? des
visions, des
révélations, des prophéties – qui lui permettent
en particulier de guider dans
sa carrière Jean-Jacques Olier (1608-1657). Celui-ci prend en
charge en 1642 la
paroisse de Saint-Sulpice, une paroisse perdue qu’il entend
réformer (il aura
beaucoup de mal : en 1645, une émeute sera organisée
contre lui) et crée à
Vaugirard un séminaire. Lui-même, qui a été
d’abord dirigé par le père de Condren,
tient sur ordre du père Bataille, de mars 1642 à
février 1652, un journal qui
occupe 3045 pages. Ce journal inédit est conservé aux
archives de Saint-Sulpice
sous la forme de huit volumes reliés. Une transcription
dactylographiée
intégrale en a été exécutée entre
1965 et 1975 par le père Charles Rabeau. Il
commence, comme celui de Pierre Favre, par des récapitulations
rétrospectives.
Les trois premiers volumes (plus de 1200 pages) couvrent six mois
(mars-septembre 1642), les volumes IV à VI couvrent chacun six
mois, le volume
VII un an et demi et le dernier volume six ans : le rythme se
ralentit.
Pour l’année 1642, on possède donc environ 2900 pages de
Marie Rousseau et 1400
pages de Jean-Jacques Olier – journaux croisés d’une vie en
partie commune, puisqu’Olier
participe au « secrétariat » d’une
prophétesse qui oriente ses
décisions. Le troisième journal n’a pas le même
statut, c’est celui tenu plus
tard par le père de Bretonvilliers (1621-1671), disciple et
successeur d’Olier
à Saint-Sulpice. Commencé en septembre 1647 sur le
conseil d’Olier, il comporte
trois volumes. Il est également conservé aux archives de
Saint-Sulpice,
accompagné d’une copie intégrale faite de son vivant.
Pourquoi ai-je dit plus haut que ces journaux
étaient « d’accès
difficile » ? Même transcrits (ce qui n’est
pas le cas pour l’immensité du journal de Marie Rousseau), ils
opposent forte
résistance à la lecture, à la fois par leur taille
et leur flux torrentueux
inégalement contrôlé. Rien de commun avec les
journaux des premiers jésuites,
concis et maîtrisés. J’ai passé de longues
après-midi aux archives de
Saint-Sulpice à lire en entier les quatre premiers volumes du
journal de
Jean-Jacques Olier : je suis probablement le seul non-sulpicien
à l’avoir
jamais fait. Je connais Marie Rousseau à travers la
transcription partielle de
Thierry Bourgeois, et une séance de repérages dans ses
manuscrits à la
Bibliothèque Nationale. Je n’ai fait que jeter un œil sur
Bretonvilliers. Voilà
l’état de ma science. J’ai dit plus haut, par
honnêteté, la distance que j’ai
vis-à-vis de l’écriture mystique. Mais la
proximité est-elle forcément plus
lucide ? Quand je lis les études publiées sur Olier,
qui sont en général
le fait de sulpiciens, j’ai parfois peine à reconnaître le
paysage aperçu dans
son Journal. La bonne distance pour parler d’expériences
extrêmes est difficile
à trouver. J’ai tenu un journal de lecture de mes
après-midi sulpiciennes. Je
le relis avec embarras : introduit dans une intimité qui
n’avait pas prévu
ma visite, je dois observer la plus grande réserve. Je propose
ici à lire deux
fragments de septembre 1642 qui donnent deux
« notes » différentes du
journal d’Olier : l’une, moins fréquente, celle de l’homme
d’action qu’il
était, grand réformateur et organisateur, l’autre, plus
habituelle, celle de
son dialogue familier avec Dieu, dialogue dont il note tous les
aller-retour,
en distinguant par des caractères spéciaux (ici en gras)
les répliques divines.
[9 septembre 1642]
À la gloire de Dieu ce mardi matin 9 septembre lendemain de la sainte Nativité de Notre Dame en laquelle notre Seigneur a de coutume comme j’ai marqué ailleurs de commencer toujours ses desseins et ses nouveaux emplois étant en l’oraison je me suis uni si intimement à mon maître qu’il m’a ôté les forces m’attirant tout en lui, et me perdant en sa sainte personne. Après cela il lui a plu de commencer à m’instruire des ordres que j’avais à tenir pour régler la Paroisse et dont la lumière commença dès hier.
1mt je vis comme je devais avoir en chaque rue quelques personnes de piété qui pussent me donner avis de ce qui se passait dans tous les ménages des rues, et en particulier qui me donnassent avis s’il y avait des personnes de mauvaise vie afin d’y donner ordre.
2mt aujourd’hui j’ai vu en l’oraison comme je devais faire assembler sages femmes pour les instruire en premier lieu du baptême en deuxième lieu des entretiens qu’elles doivent avoir avec les accouchées et des sentiments dans lesquels elles doivent les entretenir pendant leur maladie et leur travail qui est un temps très précieux et toutefois très mal employé pour l’ordinaire et sans aucune utilité.
[28 septembre 1642]
Cette disposition doit être dans les prêtres qui doivent agir avec force et courage pour faire connaître et honorer la Majesté de DIEU et pour cela il plut dernièrement à la bonté de mon Seigneur de me dire quelques jours après qu’il eut exprimé en moi le saint mystère de sa résurrection, Tu agiras maintenant avec force, de même qu’au sujet de la disposition précédente qui est de l’application à DIEU après m’avoir incité à m’élever à lui, auquel je répondis que pendant le séjour du lit mon directeur m’avait défendu de m’occuper de lui, par sa bonté il me dit Je t’occuperai par moi-même ce qui me perça le cœur et je lui répondais Seigneur vous m’aimez bien, il me disait Hé que veux-tu, mon maître si vous vous adressiez à quelque belle âme mais à moi, il me répondait Je suis amoureux. Mais au sujet de cette force comme je lui représentais que j’étais faible de corps pour le servir et surtout du poumon pour le prêcher il me répondait je te donnerai double force et un double poumon je n’entendais point ce mot et cela s’entendait qu’il me fortifierait le poumon, non seulement pour prêcher, mais aussi pour aimer, et porter les effets de son amour qui sont souvent violents et l’altèrent sans la miséricorde de DIEU. J’entendis le lendemain que c’était là le sens de ces paroles, lorsqu’il plut à sa bonté d’ajouter Prépare-toi à l’amour ce qui me toucha fort.
Les
pratiques
protestantes
J’ai toujours cru le protestantisme plus
propice à
l’expression personnelle que le catholicisme : à preuve le
formidable
développement du journal puritain en Angleterre au XVIIe
siècle et la
littérature piétiste dans l’Allemagne du XVIIIe
siècle. Je le crois toujours.
Mais le danger serait d’étendre ce raisonnement à un pays
où le protestantisme
était minoritaire et menacé : en France, à
l’époque classique, il n’existe
à ma connaissance aucun journal spirituel protestant. Danger
peut-être, aussi,
de ne pas distinguer entre les différentes branches du
protestantisme. Toujours
est-il qu’avant la révocation de l’édit de Nantes, les
protestants français ont
écrit, comme les catholiques, beaucoup de livres de famille, de
mémoires, de
chroniques – mais aucun journal spirituel. Pourquoi ? Parce que la
communauté protestante a été en permanence
menacée et que l’histoire immédiate
et la survie du groupe étaient plus importantes que le travail
individuel de
salut ? Ou bien parce que le calvinisme français ne menait
pas à ce type
de pratique ? Et que les protestants français partageaient
avec les
catholiques une horreur de l’orgueil et de l’amour-propre qui les
écartait de
toute culture écrite de soi ? C’est une idée qui
vient à l’esprit quand on
lit L’art de se connaître soi-même du
protestant Jacques Abbadie (1692), même s’il n’y aborde jamais le
problème de
l’écriture. On pourrait d’abord s’étonner, en effet, en
comparant avec ce qui
s’est passé dans un pays francophone voisin, la Genève
calviniste. En France,
rien qui ressemble aux Éphémérides
de
l’érudit genevois Casaubon (1559-1614), qui tint (en latin) un
journal à partir
de 1597. En voici le début, que je donne ici en français
(en italiques, les
passages qui étaient en grec) :
Rien au monde n’a plus de prix
que le temps, et le
stoïcien latin a
bien raison de dire que le temps est la seule chose dont on puisse
s’honorer
d’être avare. Aussi est-ce pour tenir un juste compte d’un bien
aussi précieux,
et ne jamais subir les coups d’un repentir tardif, que j’ai
décidé d’écrire
cette éphéméride et de tenir le
registre exhaustif de mon temps : ainsi jouirai-je d’un bon
placement et
rendrai-je grâces au Dieu Très-bon et Très-grand.
Ce faisant, s’il se trouvait
que j’eusse perdu du temps à ne rien faire ou à me
disperser, je le saurais
aussi, et je connaîtrais mon infortune ou ma sottise. Je
t’adresse donc ma
prière, Dieu Très-bon et Très-grand, et dans le
temps qu’il me reste à vivre,
je consacrerai sans relâche tout mon zèle
et mon industrie à progresser dans ta connaissance, à
célébrer ton culte sans
compter, à rehausser ta gloire, et à soutenir la cause
des lettres, non sans
œuvrer à mon salut et à celui de tous les miens.
Ainsi donc, sous les
auspices du Dieu plein d’excellence et de
miséricorde, au début de ma trente-neuvième
année, voici comment s’est
passée la première journée, le dix-huit
février de l’année 1597 de l’Incarnation du
Christ.
18 Février. Nous nous levâmes vers la
cinquième heure, ou à peine plus tard. Là-dessus,
après nous être peigné comme
à l’habitude, nous entrâmes au sanctuaire des muses et,
ayant adressé à Dieu
une prière suppliante, nous restâmes absorbé jusque
vers la dixième heure dans
la lecture de Suidas. Du déjeuner jusqu’à la
quatrième heure, nous nous
préparâmes à la leçon qui
allait
suivre. À la quatrième heure, nous enseignâmes.
Dès après le dîner, nous
priâmes à nouveau le Dieu trois fois Très-grand
trois fois Très-bon et nous
fûmes nous coucher. Cependant, à savoir le même jour
ou la veille, nous
souvenant que Démosthène avait tant de fois, avec
mûre raison, copié Thucydide,
nous entreprîmes de faire une copie d’un livre des saintes
écritures
hébraïques. C’était le livre d’Esther.
La pratique de Casaubon est, on le voit,
très
modérée : le souci réaliste de gestion du
temps et la référence aux
sagesses antiques semblent aussi puissants que le désir de
sauver son âme ou le
dialogue avec Dieu. Mais ce journal, qui tient de la chronique autant
que de la
prière, est-il un spécimen d’une pratique répandue
à Genève, ou une
exception ? Qu’en fut-il ensuite de la pratique du journal dans la
Genève
des XVIIe et XVIIIe siècles ? Les gens ordinaires, la tante
Suzon de
Rousseau, le pasteur Lambercier, en tenaient-ils un ? De nouveau,
c’est
bien difficile à dire : ce qui est sûr, c’est
qu’actuellement on ne
connaît pas d’autre cas de journal
« spirituel » à Genève avant la
fin du XVIIIe siècle, et que les livres de piété
protestants sont aussi muets
sur ce sujet que leurs homologues catholiques. Ce serait une autre
enquête à
faire que d’expliquer pourquoi, dans la Genève de la seconde
moitié du XVIIIe
siècle, la pratique du journal personnel
semble plus courante (voir Un journal à
soi, op. cit., p. 50-53) qu’elle n’est alors en France. Et ce n’est
que
dans les années 1880, avec la publication d’Amiel et de Benjamin
Constant, que
la « couleur » protestante viendra au journal
francophone. Le journal
personnel, tel qu’il s’est développé en France à
partir de la fin du XVIIIe
siècle ne semble pas devoir grand chose au protestantisme, ni au
journal
spirituel.
Perspectives
Cette dernière phrase est bien
catégorique : il
ne faut pas conclure trop tôt. Car l’exploration que j’ai faite
m’a confirmé
deux points :
L’ignorance
définitive où nous sommes devant des pratiques
discrètes, qui ont pu ne pas
laisser de trace, et surtout notre ignorance, heureusement provisoire,
des
traces qui existent : l’inventaire des journaux détenus par
les archives
publiques ou par des archives privées accessibles n’a jamais
été fait. Il faut
le dire clairement : le journal (et pas seulement le journal
spirituel)
est encore aujourd’hui en grande partie terre
inconnue. Beaucoup de surprises sont à attendre dans les
années à venir,
quand l’inventaire de l’équipe de Paris-IV se
développera, en particulier du
côté des manuscrits.
L’incertitude
des relations de cause à effet : à partir du moment
où on accède à une
connaissance précise des réalités, il semble plus
important de mener une
analyse fine des pratiques et des textes que de spéculer sur des
corrélations
trop simples qui doivent beaucoup au préjugé et à
l’idéologie.
La difficulté principale de cette
étude tient à la
nature des expériences rapportées, ou
évoquées, dans les journaux
spirituels : expériences brûlantes ou extrêmes,
qu’on peine à comprendre
ou à imaginer, et qui souvent ne sont commentées que par
des érudits
complices : les jésuites éditent les
jésuites, les sulpiciens les
sulpiciens. Où trouver les ressources d’un regard plus
général, moins engagé
mais aussi compréhensif ?
Affaire… à suivre.
Elisabeth Bourcier, Les Journaux
privés en Angleterre de 1600 à
1660, Publications de la Sorbonne, 1976 (III, ch. 1,
« Les journaux
religieux et l’examen de conscience », p. 353-387).
Jean Dagens, Bibliographie
chronologique de la
littérature de spiritualité et de ses sources (1501-1610),
Desclée de
Brouwer, 1952.
Dictionnaire
de spiritualité ascétique et mystique, Beauchesne, 1937-1994, 16 volumes (voir en
particulier articles : Autobiographie spirituelle, Direction de
conscience, Examen de conscience, Examen particulier, France, Journal
spirituel).
L’Écriture du croyant, sous la direction de Louis Châtellier et Philippe Martin, Bruxelles, Brepols, 2005.
Gérard Ferreyrolles,
« Éléments de
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