Aux origines du journal personnel


Communication  au colloque Mémoires des Amériques,
Université de Versailles-St-Quentin-en-Yvelines, 21-22 juin 2007

Au seuil de ces journées sur l’autobiographie dans le Nouveau Monde, je vous demande la permission de rester dans l’Ancien. Il est bon de comparer, mais imprudent d’amalgamer en une histoire commune des histoires en partie bien séparées. Cela m’a frappé en me penchant sur la pratique du journal personnel en France – ce sera mon propos aujourd’hui. Le livre d’Elisabeth Bourcier sur Les Journaux privés en Angleterre de 1600 à 1660 (elle s’arrête juste au seuil du journal de Pepys) montre qu’elle a pu consacrer un livre entier, pour l’Angleterre, à une pratique qui semble, à la même époque, inexistante en France. On en a la preuve en lisant, un siècle plus tard, le 14 juillet 1762, une lettre étonnante écrite par Diderot à sa chère Sophie Volland. Il lui présente comme une idée originale, mais aussi comme une pure utopie, le projet de tenir un journal personnel pour observer et guider sa conduite : or depuis plus d’un siècle cette pratique est banale de l’autre côté de la Manche ! Même décalage avec l’Allemagne. Naguère, Georges Gusdorf m’accusait, à juste titre, de ne pas savoir lire l’allemand et d’ignorer la tradition piétiste qui s’est développée en Allemagne au XVIIIe siècle. Il avait raison, à ceci près que mon ignorance, comme celle de Diderot, est un fait historique (moins pardonnable, sans doute, chez un universitaire – mais Diderot, qui dirigeait l’Encyclopédie, n’aurait-il pas dû, comme moi, tout savoir ?). Il est vrai, par exemple, que Lavater a publié à Leipzig en 1772 une année de son journal spirituel, mais il est non moins vrai qu’en France, personne n’en a rien su. Ce texte n’a été traduit qu’en 1853, et jamais réédité, alors que ses essais de « physionomie » avaient été tout de suite largement diffusés – comme si « l’art de connaître les hommes par les traits du visage » intéressaient plus les Français que celui de les connaître par les traits de l’âme déposés dans un journal intime. C’est d’autant plus frappant que ce journal avait été traduit en néerlandais dès 1780, puis en anglais en 1795.

Tout ceci pour dire que, ayant pris ma retraite, et craignant de me lancer dans un travail trop vite achevé qui ne me laisserait plus que le loisir de méditer sur ma propre fin, j’ai conçu, non pas une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur, mais un projet modeste dans son propos et inachevable dans son exécution. Je veux composer un ensemble indéfini d’études sur les origines du journal personnel en France. Aucun livre à l’horizon : juste un chantier, ouvert sur Internet. Ce sera une entreprise conviviale, que je mènerai sans embêter personne, et sans me laisser embêter par personne. J’offrirai au fur et à mesure mes résultats sur mon site « Autopacte ». Titre : « Comment le journal est devenu personnel (France, 1750-1815) ». Une dizaine d’études ont déjà été réalisées, j’en donne la liste en annexe. Sur mon site, il suffira de cliquer pour les lire.

Mon entreprise est quelque peu impertinente, puisqu’il existe déjà un livre sur le sujet, un livre estimé, celui de Pierre Pachet, Les Baromètres de l’âme. Naissance du journal intime (1990, rééd. 2001). Mais mon enquête sera différente sur deux points.

D’abord, je ne parle pas de journal « intime », mais « personnel ». Pierre Pachet définit l’intime de manière assez restrictive et arbitraire. Il parle de « ce retour dubitatif sur soi, de cet examen de l’inconsistance de soi auxquels nous voulons restreindre le genre » (1990, p. 10-11). On peut penser que la fonction ordinaire du journal personnel est au contraire de donner au moi une consistance – le retour réflexif sur la difficulté ou l’impossibilité de la chose étant un mouvement secondaire, forcément limité. Quand je parle de journal « personnel », de manière large, c’est par opposition au, ou spécification du, journal « collectif » (comme sont les chroniques, livres de raison, livres de bord, etc.). D’une manière générale, je pense que l’intimité est un trait accessoire de la forme journal, et que celui-ci, comme son nom l’indique dans toutes les langues, se définit avant tout par son rapport au temps.

Quand j’avais commencé à travailler sur l’autobiographie, j’étais parti, un peu comme Pierre Pachet pour le journal, d’une définition précise et restrictive. Quand je me suis mis à travailler sur le journal, j’ai pris instinctivement une route opposée. D’abord, tout simplement, je ne suis pas parti d’une définition ! C’est seulement douze ans plus tard que je me suis dit : « Mon Dieu, j’ai oublié de définir ce sur quoi je travaille ! ». J’ai alors essayé d’être le plus compréhensif possible, écartant toutes les précisions qui ne valaient que pour des corpus ou sous-genres particuliers. D’épuration en épuration, j’ai abouti à une formule aussi laconique que ma définition de l’autobiographie avait été bavarde : « Série de traces datées ». Comme l’habitude, le journal commence à la seconde fois – ou à l’intention d’une seconde fois, puisqu’il s’agit de jalonner le temps. Le mot « trace » a été choisi pour ne pas faire de l’écriture le seul support possible (elle reste néanmoins indispensable pour la date). Je ne vais pas gloser ici cette définition, dont je vois les limites. Mais elle m’a permis de travailler sans rien exclure. Elle met en évidence la continuité entre les premières formes du journal, aux origines mêmes de l’écriture (livres de comptes, enregistrements des actes publics, dans les civilisations anciennes) jusqu’aux formes modernes de l’intimité. Le journal a été, et est resté jusqu’à la fin du Moyen Âge, une forme collective d’enregistrement du temps. Peu à peu, cette habitude d’écrire le temps (pour construire une mémoire, contrôler le présent et organiser l’avenir) est passée de la vie publique à la vie privée, de la vie privée à la vie individuelle, et de là enfin à la vie intime. L’idée de cacher un journal, ou de lui parler comme à un ami, ces deux actes, seuls capables, à mon avis, de définir un journal comme « intime », ne sont apparus en France que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et ils sont d’ailleurs dûs en partie à un métissage avec la forme « lettre » (une « lettre à soi-même »).

Pourquoi cette conduite qui nous paraît si simple est-elle venue si tard dans l’histoire de l’humanité ? Pourquoi cette technique de gestion a-t-elle attendu la fin du Moyen Âge pour passer des collectivités aux individus ? De nombreux facteurs ont dû jouer, je n’en citerai que deux, centraux, mais non exclusifs. Le premier est l’arrivée du papier en Europe à partir du XIVe siècle. Non seulement le papier a changé le régime des écritures publiques, parce que, à la différence du parchemin, il s’est révélé apte à l’impression, mais il a surtout bouleversé le régime des écritures privées, rendant obsolètes les tablettes de cire (à la fin du XVe siècle, elles avaient pratiquement disparu). On pouvait désormais écrire à perte de vue sur un support réduit et pérenne. Les tablettes de cire, volumineuses, étaient éphémères, puisqu’on les effaçait pour les réutiliser, comme une ardoise. L’autre facteur est l’invention de l’horloge mécanique, qui a peu à peu mis la mesure du temps à portée de tous, synchronisé la vie économique et sociale, bouleversé la perception et la gestion du temps. Un critique américain, Stuart Sherman, est allé jusqu’à vouloir établir une corrélation entre l’apparition de la seconde aiguille (des minutes) sur les cadrans et l’émergence du journal si précis de Samuel Pepys (son livre s’intitule Telling Time, 1996). Je n’irai pas si loin, mais il y a là du vrai, comme dans le lien qu’on peut établir entre le développement de l’autobiographie et le passage progressif du calendrier perpétuel au calendrier annuel, d’un temps cyclique à un temps linéaire, de l’éternel retour à l’irréversible, passage qui date, en France, des années 1650-1750, comme l’a montré dans un beau livre Francesco Maiello (Histoire du calendrier, 1993).

L’enquête que j’envisage sur les origines du journal personnel sera donc large. Il ne s’agira pas de la quête obsessionnelle d’une origine, celle d’un genre littéraire bien cerné, mais de l’étude de transformations pendant une période que j’ai située de 1750 à 1815 – sans que ces dates aient rien de contraignant. Je voudrais échapper au piège linéaire. Il n’existe pas une tradition unique du journal personnel, dans une même population, dont on pourrait dater les seuils de transformation en les corrélant à des facteurs simples. Il y a des pratiques hétérogènes, dont la forme journal est le noyau minimum, mais dont les fonctions divergent, et qui ne sont pas le fait des mêmes groupes sociaux, professions, classes d’âge, etc. Notre regard surplombant va essayer de voir comment l’écriture du temps quotidien se répand peu à peu à travers la société, comment certains pratiques, dans certains groupes, s’étiolent ou se déplacent, comment d’autres, dans des groupes différents, apparaissent et prolifèrent – sans qu’il y ait là influence ou engendrement direct, mais commune sensibilité à ce nouveau souci qui, comme une marée, s’infiltre peu à peu dans toutes les activités humaines, celui de la gestion du temps.

Pour montrer la diversité de ces questionnements, j’en citerai rapidement cinq.

- Comment est-on passé, sur le plan social, du rôle du chroniqueur à celui du témoin ? Depuis la fin du Moyen Âge, au niveau national comme au niveau local, certains notables, en général de second rang, se sont institués de leur propre autorité scribes de la vie collective, rassemblant l’information qui circulait autour d’eux et y adjoignant secondairement leur témoignage. Ces chroniques gigantesques, s’étendant sur des dizaines d’années et des milliers de pages, accumulaient pour une utilisation future par l’Histoire toute la « mémoire immédiate ». Elles se sont trouvées concurrencées au cours du XVIIIe siècle, puis tuées au moment de la Révolution, par la naissance de la presse moderne. La Révolution, si elle marque la fin des chroniqueurs, a vu apparaître un nouveau personnage, le témoin, en particulier le soldat de base des guerres de la Révolution et de l’Empire, qui se limite en principe à ce qu’il a vu lui-même, à sa participation personnelle à l’épopée collective. L’acte de naissance officiel du « témoin » est peut-être la proclamation de Napoléon le 3 décembre 1805 aux soldats (survivants…) : « Il vous suffira de dire « j’étais à la bataille d’Austerlitz » pour qu’on vous regarde et dise : « Voilà un brave ! ». Cet encouragement au témoignage individuel vaudra dans l’avenir autant pour les catastrophes et massacres que pour les épopées, qui sont d’ailleurs sans doute la même chose. C’est l’origine de la démocratisation du rôle du témoin, qui connaîtra sa consécration au moment de la guerre de 14-18, ouvrant ce qu’Annette Wieviorka a justement appelé « l’Ère du témoin ».

- Comment le « livre de raison », dont la fonction est collective et transgénérationnelle, est-il devenu peu à peu le lieu d’inscriptions plus personnelles et individuelles, le scribe n’hésitant pas à mêler à la chronique collective l’histoire de ses petites misères à lui ? Ce serait un exemple d’infléchissement interne d’une même pratique.

- Comment est-on passé, sur le plan de la vie familiale, du modèle masculin du livre de raison, tenu presque exclusivement par les chefs de famille, centré sur les affaires financières, le patrimoine et la généalogie, à un modèle féminin de la chronique familiale, centré sur l’éducation des enfants ? C’est vers 1780 qu’apparaissent en France ces « nouveaux parents » qui tiennent chronique de leur zèle pédagogique, souvent inspiré par Rousseau. Ce ne sont pas les mêmes familles, les mêmes milieux. Ce serait un exemple de substitution externe de pratiques différentes.

- Autre question liée à la précédente : comment est apparue en France, au tournant du XVIIIe siècle, une pédagogie du journal, destinée à la formation morale et stylistique des jeunes enfants dans le cadre de l’éducation à la maison (par les parents ou par les précepteurs et institutrices) ? Cette méthode, formalisée par Marc-Antoine Jullien dès 1808 dans son Essai sur l’emploi du temps, semble s’être répandue dès la fin du XVIIIe siècle (lui-même raconte comment sa mère, dans les années 1780, lui faisait tenir son journal). Et puis comment l’église catholique,  jusque-là si méfiante, s’est-elle convertie à la pédagogie du journal (mais d’un journal sous contrôle) ?

- Mes questions s’étendront, au-delà du journal, à la correspondance : depuis quand les jeunes filles de la bonne société ont-elles le droit et l’habitude de s’écrire entre elles ? C’est, semble-t-il, depuis les années 1760, guère avant, les correspondances particulières ayant longtemps été vues d’un mauvais œil par les éducatrices. Question importante, puisqu’il semble que certains journaux intimes ont pu être les héritiers de la « lettre à la meilleure amie » – quand on découvre qu’on n’a pas de meilleur ni de plus discret ami que soi-même.

Ce ne sont là que des échantillons de questions qu’il faudra multiplier, et auxquelles les réponses ne sont pas faciles, parce qu’il faut d’abord établir les faits.

J’ai été initié à la littérature française par les manuels de Lagarde et Michard, dont on dit, injustement, beaucoup de mal aujourd’hui, et qui avaient eu la bonne idée de citer le texte de Fontenelle sur la « dent d’or » : poussée à un enfant de sept ans, cette dent d’or avait suscité de querelles entre les savants, qui avaient longuement discuté pour savoir pourquoi elle était en or, sans vérifier d’abord qu’elle fût vraiment en or, et elle ne l’était pas. Conclusion : il faut d’abord vérifier les faits, avant de les expliquer par d’autres faits, qu’il faut aussi établir.

Peut-on dire, par exemple, que le journal « intime » ait en France une origine religieuse ? J’ai mené une enquête sur les faits. À la différence de ce qui s’est passé dans d’autres pays, jamais l’église catholique n’a, en France, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, conseillé la tenue d’un journal. Les rares journaux mystiques tenus en France sont restés inconnus et n’ont été publiés qu’à la fin du XIXe siècle, au XXe siècle, ou sont encore inédits. La posture piétiste de Mme Guyon a connu un certain succès en Allemagne au XVIIIe siècle, mais guère en France. Il est imprudent de calquer l’histoire d’un pays sur l’histoire d’un autre.

J’avais annoncé deux points de différence entre mon enquête et celle de Pierre Pachet. Le second est la base d’information. Pierre Pachet a fait un très utile travail à partir d’un petit nombre de journaux publiés, la plupart d’écrivains. Mais de quoi sont-ils représentatifs ? Certes, l’immense majorité des journaux tenus à l’époque que j’envisage (1759-1815) sont aujourd’hui perdus sans remède. Mais il en existe malgré tout un bon nombre qui sont conservés, soit dans les archives des familles, où il est difficile de les détecter, soit dans les archives publiques. Comment peut-on mener une enquête sur une pratique « intime » en se limitant à quelques textes publiés ? Quand on a perdu quelque chose sans savoir où, va-t-on le chercher uniquement sous les réverbères, parce que c’est mieux éclairé ? En 1991, j’ai été bouleversé par la lecture d’un journal de jeune fille, celui de Claire Pic, tenu à Bourg-en-Bresse de 1862 à 1869, quatre cahiers manuscrits, géniaux ! Les livres qui faisaient autorité sur le journal raisonnaient (rapidement) à partir de quatre ou cinq journaux publiés, toujours les mêmes (Eugénie de Guérin, Marie Bashkirtseff, Marie Lenéru, Elisabeth Leseur…). J’ai cherché pendant un an, et j’ai trouvé 115 journaux de jeunes filles du XIXe siècle, à partir desquels j’ai commencé à décrire une réalité très complexe et fluide. Depuis la publication de mon livre (Le Moi des demoiselles, 1993), d’autres journaux ont émergé au grand jour de l’édition, et j’en ai retrouvé bien d’autres en manuscrits : chaque fois, le paysage bouge… Nous sommes, en face des écrits intimes (c’est aussi vrai des correspondances) dans une situation archéologique. Chaque nouvelle campagne de fouilles peut tout remettre en question. Ce que vous pensiez impossible, à cause des limites de votre information, est là, sous vos yeux, et vous n’en revenez pas…

Depuis quelques années, un groupe d’historiens « modernistes » du Centre Roland Mousnier (Paris-IV Sorbonne) a entrepris une exploration systématique des archives publiques pour y retrouver les « Écrits du for privé » : sur le site www.ecritsduforprive.fr, on pourra lire en ligne les premiers résultats de leur travail.

Un petit mot en passant sur le vocabulaire générique. Quand je parle de « Journal », j’emploie un mot simple, qu’on aurait compris à l’époque que j’étudie, mais qui désigne une forme précise, limitée. On peut vouloir cadrer plus large, mais alors on est obligé d’inventer des mots. L’anglais dispose de « life-writing », dont l’équivalent exact n’existe pas en français. On se sert, faute de mieux, des expressions suivantes : « egodocuments » (expression importée du néerlandais, elle a été inventée par Jacques Presser (1899-1970) dans les années 1950) ; « écrits du for privé » (expression inventée en France par l’historienne Madeleine Foisil dans les années 1970) ; « écritures ordinaires » (expression inventée par l’ethnologue Daniel Fabre et son équipe vers 1990). Ces expressions anachroniques, mais fort utiles, expriment notre regard d’aujourd’hui sur un ensemble de pratiques privées d’écritures.

Je reviens pour finir à mon projet : une des raisons pour lesquelles j’ai choisi la forme ouverte d’une publication en ligne sur Internet, plutôt que celle, fermée, d’un livre, c’est que c’est une entreprise de longue haleine, et que je ne veux pas la figer prématurément. Je n’ai pas de plan a priori : je me laisse guider par ce que je découvre, et j’ai beaucoup de curiosités en réserve. Quand je fais des synthèses (comme je l’ai fait pour le journal religieux), elles sont provisoires. Chaque monographie demande un énorme travail. Cette forme ouverte permettra plus facilement à d’autres, quand je ne serai plus là, de prendre le relais.

Pour l’instant, j’avoue prendre beaucoup de plaisir à ces explorations, même si je ne rencontre pas tous les jours des écrivains de génie. En revanche, des originaux, comme vous verrez, cela ne manque pas… Mais ce n’est pas le problème. Le lecteur de journaux personnels prend en charge, par sa lecture, une vie dont il doit relier tous les signes pour la ressusciter, il devient une sorte d’auteur de roman : c’est une aventure incroyable, surtout lorsqu’on ne travaille pas sur un exemplaire imprimé. Il y a une magie du manuscrit, une relation très singulière. Je suis, face à ce cahier ouvert, comme était celui qui l’a écrit – sauf que je puis tourner les pages pour savoir la suite, qui n’était encore pour lui que pure virtualité de papier blanc…

Je pourrais, pour finir, vous présenter les dix études que vous trouverez sur Internet – mais il vous suffira de cliquer, goûter, choisir vous-même, si vous êtes tenté… Je préfère vous en raconter une onzième, qui vient de s’enclencher.

C’est une histoire ahurissante… En 1997, Catherine Bogaert, qui préparait avec moi l’exposition Un journal à soi (Bibliothèque municipale de Lyon et APA), repère à la Bibliothèque municipale de Rouen un curieux manuscrit des années 1780 : le journal qu’un jeune couple, les Coquebert de Montbret, avait tenu de l’éducation de deux de ses enfants, Ernest (le père le suit de 1781 à 1784) et Cécile (la mère la suit de 1782 à 1799). Nous avons repris la présentation de ce journal dans notre livre-album Un journal à soi (Éd. Textuel, 2003). Conséquence : en 2007, je reçois une lettre des descendants de cette famille, qui me proposent de m’offrir une édition (privée) qu’ils viennent de faire du journal… tenu par la jeune Cécile elle-même (de 1799 à 1801) avant et après son mariage… Je lis avec passion ce beau journal intime, et j’apprends qu’il tient lui-même en suspens autour de lui, si je puis dire, une grappe d’autres journaux : celui de l’homme qu’elle va épouser, Alexandre Brongniart, dont on a retrouvé des fragments parallèles à son journal à elle ; celui qu’elle-même, à l’imitation de sa mère, va tenir à partir de 1801 de son premier-né Adolphe ; ceux qu’ont tenus plus tard ses deux filles Herminie (journal d’une adolescente) et Mathilde (qui tient elle-même le journal de son premier enfant…)… Le mari de Mathilde, Jean-Victor Audouin, a d’ailleurs, jeune étudiant, tenu aussi un journal, qui a été publié en 1959… La plupart de ces journaux sont dans les archives de différentes branches de la famille, conservés avec soin, pieusement préservés des regards étrangers, tant ces aventures survenues il y a deux siècles résonnent encore de manière proche dans la mémoire de la famille… J’espère qu’on acceptera mon regard, respectueux et… réconforté. En effet, ce qui m’a déjà frappé, c’est le côté positif et tonique de ces journaux, alors qu’on se plaît à présenter le diariste comme chroniquement dépressif et attristé. Encore un préjugé qui tombe : il y a des diaristes heureux !  Une histoire à suivre, si elle vous intéresse, d’ici quelques mois, en ligne sur Internet ! À bientôt.