Philippe
Lejeune et Catherine Bogaert
Le journal intime. Histoire et
anthologie, Textuel,
2006.
Nous vous proposons un voyage au pays du journal, pays étrange et familier. Familier puisqu’on y découvre la vie à hauteur d’homme, au jour le jour, sans reconstruction, face à un avenir imprévisible. Et parce que cette écriture quotidienne appartient à tout le monde. Étrange parce qu’il s’agit d’une pratique, sinon secrète, du moins fort discrète : que savons-nous des journaux des gens que nous fréquentons ? Que reste-t-il des journaux des siècles passés ? Certes, depuis la fin du XIXe siècle, on publie des journaux d’écrivains, mais ils donnent une image partielle, cultivée, d’une pratique de vie naturelle et multiforme. Il ne s’agira donc pas seulement ici de l’étude d’un genre littéraire, mais de l’exploration anthropologique d’une écriture ordinaire.
Des origines à nos jours, le parcours sera double.
Une histoire, en quatre chapitres, mènera des « éphémérides » des Anciens aux « blogs » des Modernes, puis une anthologie, en soixante extraits, du livre de raison d’un hobereau du XVIe siècle au « cher cahier » d’une adolescente d’aujourd’hui. Nous suivrons cette histoire, qui concerne toute la civilisation occidentale, en prenant l’exemple de la tradition de langue française. Nous ne ferons exception que pour les journaux de Samuel Pepys, de Robert et Clara Schumann et d’Anne Frank, sans équivalent chez nous.
Au seuil de ce double voyage, la Table des matières propose une vue cavalière du pays. La Bibliographie aidera ensuite à s’immerger dans le flux des journaux réels.
L’anthologie n’a pas pour but de dresser un palmarès, mais de faire un portrait de groupe. Des extraits courts et nombreux doivent rendre sensible l’évolution historique et déployer l’éventail des sujets, des formes et des tons. Nous avons cadré des passages significatifs, parfois fait des montages, pour proposer des fragments qui puissent se lire comme de petites nouvelles ou des poèmes. Lire un journal est certes une tout autre aventure, qui suppose une sorte de compagnonnage dans le temps. Pour que les amorces ici proposées puissent mener à des lectures suivies, nous avons souvent choisi nos extraits dans des journaux publiés, à l’inverse du parti que nous avions pris dans notre précédent ouvrage, Un journal à soi (Textuel, 2003).
Ce livre, en effet, est la troisième et dernière étape d’un travail commencé il y a dix ans. En 1997, sous le patronage de l’Association pour l’Autobiographie et de la Bibliothèque municipale de Lyon, une exposition nous avait permis de montrer cahiers et feuilles en direct. Les expositions sont éphémères : le catalogue de la nôtre pouvait la commémorer, non la remplacer. En 2003, grâce aux éditions Textuel, un livre-album riche de cent cinquante fac-similés en couleur avait été l’occasion de développer, en un véritable essai, les idées directrices de l’exposition et d’approfondir la dimension historique. Nous souhaitons aujourd’hui donner à cette synthèse une forme plus maniable et la rendre accessible à un large public. Ce volume reprend donc notre essai en le mettant en résonance avec une substantielle anthologie sans perdre, grâce à une trentaine d’illustrations en noir et blanc, le contact visuel avec l’écriture et le papier.
Ce
livre
s’adresse à tous : aux diaristes, occasionnels ou
chevronnés, aux lecteurs
de journaux, mais aussi aux passionnés d’histoire et aux curieux
de l’âme
humaine. Le regard porté sur tant de documents personnels n’aura
rien
d’indiscret : il doit renvoyer chacun à lui-même et
nous faire méditer sur
ce que Cesare Pavese appelait « le métier de
vivre ».
1er
novembre 2005