C'est
l'engagement que prend un auteur de raconter directement sa vie
(ou une partie, ou un aspect de sa vie) dans un esprit de
vérité.
Le pacte autobiographique s'oppose au pacte de
fiction. Quelqu'un qui vous
propose un roman (même s'il est inspiré de sa vie) ne vous
demande
pas de croire pour de bon à ce qu'il raconte : mais simplement
de
jouer à y croire.
L'autobiographe, lui, vous promet que ce que qu'il
va vous dire est vrai,
ou, du moins, est ce qu'il croit vrai. Il se comporte comme un
historien
ou
un journaliste, avec la différence que le sujet sur lequel il
promet
de donner une information vraie, c'est lui-même.
Si vous, lecteur, vous jugez que l'autobiographe
cache ou altère une
partie de la vérité, vous pourrez penser qu'il ment.
En revanche il est impossible de dire qu'un romancier ment : cela n'a
aucun
sens, puisqu'il ne s'est pas engagé à vous dire la
vérité.
Vous pouvez juger ce qu'il raconte vraisemblable ou invraisemblable,
cohérent
ou incohérent, bon ou mauvais, etc., mais cela échappe
à
la distinction du vrai et du faux.
Conséquence : un texte autobiographique peut
être légitimement
vérifié par une enquête (même si, dans
la pratique, c'est très
difficile !). Un texte autobiographique engage la
responsabilité
juridique de son auteur, qui peut être poursuivi par exemple pour
diffamation,
ou pour atteinte à la vie privée d'autrui. Il est comme
un
acte de la vie réelle, même si par ailleurs il peut avoir
les
charmes d'une oeuvre d'art parce qu'il est bien écrit et bien
composé.
Comment se prend cet engagement de dire la
vérité sur soi ?
A quoi le lecteur le reconnaît-il ?
Parfois au titre : Mémoires, Souvenirs,
Histoire
de ma vie... Parfois au sous-titre ("autobiographie",
"récit",
"souvenirs", "journal"), et parfois simplement à l'absence de
mention
"roman".
Parfois il y a une préface de l'auteur, ou
une déclaration
en page 4 de couverture.
Enfin très souvent le pacte autobiographique
entraîne l'identité
de nom entre l'auteur dont le nom est sur la couverture, et le
narrateur-personnage qui raconte son histoire dans le texte.
Autre conséquence : on ne lit pas de la même
manière
une autobiographie et un roman. Dans l'autobiographie, la relation avec
l'auteur
est embrayée (il vous demande de le croire, il voudrait
obtenir
votre estime, peut-être votre admiration ou même votre
amour,
votre réaction à sa personne est sollicitée, comme
par
une personne réelle dans la vie courante), tandis que dans le
roman
elle est débrayée (vous réagissez
librement au
texte, à l'histoire, vous n'êtes plus une personne que
l'auteur
sollicite).
Si vous voulez des exemples de pacte
autobiographique, vous
trouverez sur
ce site les préambules de
Jean-Jacques Rousseau et de Marie
Bashkirtseff
.
Je vous renvoie aussi à mon livre L'autobiographie
en France (Armand Colin, collection "Cursus", 1998), à la
fin duquel est reproduite
une série de "pactes autobiographiques" de Rousseau à nos
jours.
Si vous voulez plus d'explications, voyez Le Pacte autobiographique (Seuil,
1975), disponible en format poche ("Points"). Dans un second volume, Signes de vie, Le Pacte autobiographique 2
(Seuil, 2005), j'ai évalué avec le recul du temps,
"Vingt-cinq ans après", mon travail de réflexion sur le
pacte : et ce texte, où je m'explique sur ma démarche,
est bien sûr lui-même un texte autobiographique.
© Philippe Lejeune 2006